PASSION
FOOTBALL (Magazine France 98 - Coup du Monde)
Quand l'écrivain
brésilien Paolo Coelho évoque ses souvenirs de la Coupe du Monde,
Pelé et Garrincha deviennent de véritables magiciens, capables de
transformer le moindre ballon en but en or...
Pour l'auteur à
succès de ''L'Alchimiste'', football et littérature partagent de
nombreux points communs...
"Même si je n'y
ai jamais joué, le football est dans mon âme comme dans celle de
tous les Brésiliens. Nous devons en être fiers car, tout comme notre
musique qui s'écoute dans le monde entier, le football nous permet
d'exporter notre culture. C'est l'art de la créativité qui s'exprime
dans un domaine limité, celui du terrain.Bien sûr, j'ai vécu la
Coupe du Monde 1994 aux États-Unis avec intensité.
''Une Coupe du
Monde, c'est comme un roman. Mais je n'ai pas voulu voir la séance
de tirs au but en finale, entre l'Italie et le Brésil. C'était trop
dur à supporter...
"A la fin du
temps réglementaire, j'ai véritablement paniqué et j'ai préféré
sortir de chez moi, à Rio de Janeiro, pour aller marcher sur la
plage. Et c'est la ville qui m'a raconté la fin du match. C'était
magique. J'étais là, sur cette plage déserte, et je suivais
l'évolution du score en écoutant les bruits de la cité toute proche.
Il y avait une immense tension dans l'air. Je suis allé au bord de
l'eau. J'entendais les hourras, les cris à chaque but brésilien,
aussitôt suivis de longs moments de silence pour chaque tir italien.
Et puis soudain, j'ai entendu un vacarme ininterrompu. J'ai compris
que nous avions gagné !
"Déjà, en 1958,
j'avais vécu l'épopée brésilienne avec passion. Je n'avais que onze
ans, la compétition se déroulait dans un pays lointain et froid que
je ne connaissais pas, la Suède, mais je ressentais la ferveur qui
entourait cet événement. Même si je n'avais pas une compréhension
totale de l'importance du foot pour mon pays, je savais qu'il
fallait absolument gagner. Comme tout le monde, j'avais Pelé pour
idole. J'ai eu l'occasion de rencontrer des joueurs de cette
fabuleuse génération après être devenu écrivain. Mon seul regret est
de n'avoir pu parler à Garrincha avant qu'il ne disparaisse. Sa mort
tragique, après qu'il eut sombré dans l'alcool et la misère, a
renforcé son mythe, mais il n'avait pas besoin de cela. Son seul
talent suffisait.
"Je crois qu'un
romancier et un footballeur ont le même objectif. L'écrivain qui
prend sa plume, c'est comme le joueur qui essaie de marquer un but.
Pourquoi ? L'un et l'autre ne vont rien changer au monde ! Mais la
littérature et le foot doivent exister parce qu'ils donnent une
force intérieure au lecteur ou au spectateur, une force qui peut
changer sa vie.
"Des héros, une
histoire, une fin inattendue... une Coupe du Monde, c'est comme un
roman.
''Je crois
d'ailleurs que la construction d'un roman à plusieurs personnages,
c'est comme une Coupe du Monde. On a besoin de héros, d'une histoire
qui les réunit, et surtout, on ne connaît jamais la fin. L'écrivain
ne sait en effet jamais comment va se terminer son roman. Et si on
tente d'imaginer avec précision la fin de l'histoire, on peut
détruire le processus de création. Il faut être ouvert pour que le
roman s'écrive, se révèle à soi-même. Une Coupe du Monde, c'est
pareil! Prenez la Colombie, par exemple. Elle était assez attendue
aux États-Unis en 1994, et elle a été éliminée dès le premier tour.
C'est la surprise, la magie du moment présent.
"Au Brésil, il y
a une expression typique : la ''peur du maillot''. Tout le monde
sait que c'est un pays de tradition de football. Ainsi, quand les
autres équipes regardent le maillot amarillo, elles ont peur de tout
ce qu'il représente. Le Brésil a longtemps profité de cette forme
d'intimidation, mais ça n'existe plus maintenant. Il n'y a plus de
favoris. Regardez le Cameroun en 1990 ou le Nigeria en 1994. Qui
aurait pu imaginer que ces pays auraient autant brillé dans la
compétition ?
"La France m'a
adopté totalement, elle est responsable de mon succès littéraire en
Europe. Alors ça va être difficile pour moi de choisir un favori
pour la prochaine Coupe du Monde. Je souhaite bien évidemment que le
Brésil conserve son titre mais si, par hasard, il est éliminé, je
soutiendrai totalement la France. L'idéal serait encore que le
Brésil s'impose face à la France en finale !" |